La plupart des revues médicales en Afrique sont publiées par des établissements d’enseignement supérieur ou des associations professionnelles aux ressources financières limitées, dans un contexte de récession économique et de coût de production élevé. La publication de ces revues dépend de la participation volontaire, bénévole et à temps partiel, de professionnels ayant une formation technique souvent insuffisante. C’est dans ce contexte que nous ambitionnons d’esquisser une analyse SWOT (Strengths - Weaknesses - Opportunities - Threats) ou MOFF pour les francophones (Menaces - Opportunités - Forces - Faiblesses) du processus de la publication scientifique en Afrique.
1. Forces
Elles résident dans le concept du « Bien publier ou rien » dans un environnement où il y a de plus en plus de périodiques locales et régionales. En effet, sur le continent, le nombre de journaux spécialisés ou non, s’accroît chaque année. A titre d’illustration en 1975, Mali Médical était la seule revue au Mali, publiant les résultats de la recherche en médecine humaine et en médecine vétérinaire. Actuellement, presque toutes les sociétés savantes du Mali ont leur propre revue, et cela, comme dans la plupart des autres pays africains. Aussi, les chercheurs en Afrique savent depuis longtemps que pour être valorisées à leur juste prix, (promotion par la voie du CAMES, Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur par exemple), leurs découvertes doivent être communiquées. De même, l’Internet lorsque l’accès à cette technologie est possible, a changé le comportement des auteurs et des éditeurs, avec des tâches nouvelles et, en contrepartie une publication un peu plus rapide.
2. Faiblesses
Les recherches africaines surtout, sur la santé sont souvent publiées dans des revues spécialisées qui sont pour la plupart éditées par les pays développés, ce qui en limite la diffusion en Afrique, de ces recherches faites en Afrique. En effet les enquêtes menées sur des publications liées à des recherches financées par le programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS/TDR) ont montré à plusieurs reprises que la plus part des articles sont publiés dans des revues biomédicales de haut niveau auxquelles les agents de santé en Afrique n’ont pas toujours accès (www.who.int/tdr Directives éditoriales du FAME). Cette pratique est souvent renforcée par les institutions de recherche nationales et internationales qui souhaitent ainsi obtenir d’avantage de financements pour leurs recherches et une reconnaissance officielle auprès de la communauté scientifique dans son ensemble.
Malgré cette réalité, les revues médicales africaines qui devraient jouer un rôle central dans la diffusion des résultats de la recherche locale et promouvoir la formation médicale permanente, souffrent d’un préjugé défavorable et d’un manque d’intérêt de la part des auteurs et des lecteurs potentiels. Aussi pour ce qui est de la qualité et de la variété, les articles publiés en Afrique n’ont dans l’ensemble, pas réussi à trouver un juste équilibre entre recherche originale et synthèse d’information déjà établies. Par ailleurs, de nombreux chercheurs et auteurs n’ont pas les connaissances requises pour aborder les problèmes d’éthique que peuvent poser la conduite de leurs recherches et la diffusion des résultats.
Il s’agit en l’occurrence de la non maîtrise des principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains ou sur des animaux et le concept d’auteur (Qui est auteur ? Quels sont les droits et devoirs d’un auteur ?).
Enfin, en Afrique, les professionnels en particulier de la santé doivent gérer un plus grand nombre de patients, un éventail de maladies plus large et une charge de morbidité plus lourde que leurs collègues dans les pays industrialisés. Leurs budgets et les ressources de base sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour le diagnostic et les soins sont minimes. Leur accès à la technologie de l’information et de la communication est faible.
3. Opportunités
Un tournant décisif a eu lieu en mai 1998 avec le lancement de African Journals Online (AJOL). En effet, Internet (quand l’accès est possible), fournit aux chercheurs africains un accès à une mine d’informations. Il facilite aussi une revue de la littérature qui permet de faire le point sur ce qui a été écrit dans le domaine qu’on veut aborder. Pour sensibiliser à la recherche publiée en Afrique, AJOL a été lancé pour indexer et promouvoir les revues publiées en Afrique utilisant le Web. Le service comprend maintenant plus de 220 titres et 18 000 résumés d’articles. Il a été évalué deux fois et répond aux domaines de développement et de changement. En effet, depuis sa création, AJOL travaille pour la recherche africaine, en vue entre autre de contribuer au développement de l’Afrique, i) en augmentant la visibilité mondiale des revues africaines, ii) en aidant à partager les meilleures pratiques de la publication des revues, éclairées par les normes mondiales acceptées afin de présenter des revues de recherche crédibles et fiables publiées en Afrique, iii) en soutenant et en encourageant le libre accès et les modèles de publication gratuits.
4. Menaces
La prédation, le problème du financement des revues en libre accès, le problème de la protection du droit d’auteur et de la pérennisation des projets d’archives ouvertes, constituent les principales menaces. Les revues prédatrices sont aujourd’hui une réalité, dont l’accroissement est aussi régulier qu’important. On compte aujourd’hui au moins 13 000 revues prédatrices, publiées par près d’un millier d’éditeurs. Le financement des revues en libre accès se fait en amont soit par une subvention institutionnelle soit en facturant aux auteurs, les frais de publication demandés.
5. Recommandations
Une solution à ce problème serait d’encourager la création en Afrique, de revues nationales ou institutionnelles ne chargeant pas de frais aux utilisateurs. C’est le cas au Mali de « Mali Médical », ou en République Démocratique du Congo, des « Annales Africaines de Médecine ». En plus des défis qui concernent la nécessaire réduction des frais de publication demandés aux auteurs dans les revues en libre accès et la protection du droit d’auteur, le mouvement du libre accès doit également relever le défi de la pérennisation des projets de création d’archives ouvertes, ou de bibliothèques numériques en Afrique.
En conclusion, nous voudrions partager cette déclaration de Cheikh Anta Diop qui disait, « la recherche africaine manque surtout d’information à un moment où, toute capacité intellectuelle mise à part, la fécondité du chercheur est fonction de ses moyens de documentation ». Il revient donc aux africains de saisir les opportunités qu’offre le libre accès pour sortir de l’indigence numérique qui nuit à la recherche et à la renommée des chercheurs et des institutions du continent.
Sidibé Siaka,
Professeur Titulaire de Radiologie & Radiodiagnostic (CAMES) ;
Directeur de Publication de Mali Médical ;
Membre du CE du GRISOF ;
Membre Titulaire de l’Académie des Sciences du Mali ; Chevalier de l’Ordre National du Mali.
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